Immobilier: les grands investisseurs n’achètent plus et attendent la baisse des prix – l’Opinion
Jade Grandin de l’Eprevier
En apparence, tout va bien. De janvier à fin septembre, les investisseurs institutionnels (assureurs, gestionnaires d’actifs, fonds, caisses de retraite…) ont acheté pour 20 milliards d’euros d’immobilier d’entreprise (bureaux, commerces, locaux d’activité, entrepôts) en France, un tiers de plus que sur la même période l’année dernière. A la rentrée a eu lieu la plus grosse transaction jamais réalisée sur les Champs-Elysées.
En réalité, le marché est dans un flottement inédit. Presque tous les investisseurs ont « posé le stylo » et les volumes devraient décrocher d’octobre 2022 à mars 2023. Plus aucune transaction ne se conclut depuis le début de l’été – celles qu’on a vu se concrétiser étaient préparées depuis six mois à un an. Car depuis juillet, la Banque centrale européenne a remonté ses taux de près de 200 points de base , une ampleur et vitesse inédites. Le taux auquel s’échange la dette souveraine française à 10 ans est passé de 0% en janvier à 3% mi-octobre.
« De nombreux grands acteurs sont tétanisés, 60 % de leur bilan a perdu 20 % de valeur »
3% : c’était justement, au 30 septembre, le rendement d’un immeuble de bureau de grande qualité dans le quartier central des affaires parisien avec des locataires solides. Mais qui serait prêt aujourd’hui à acheter cet immeuble, moins liquide et plus risqué que la dette d’Etat, pour le même retour sur investissement ? « Depuis quelques mois, 3 à 4 milliards d’euros d’opérations (bureaux, logistique, résidentiel…) ont été annulées ou retirées du marché français, explique Arnaud Taverne, directeur général de CDC Investissement Immobilier. Une proportion limitée se poursuit avec des prix légèrement revus et souvent dans une logique plus patrimoniale que financière ».
En plus, la remontée des taux d’intérêt a fait diminuer la valeur des autres actifs du portefeuille des institutionnels (obligations, actions). Du coup, leur poche d’immobilier pèse plus lourd en comparaison. « De nombreux grands acteurs sont tétanisés, 60 % de leur bilan a perdu 20 % de valeur », a résumé Antoine Flammarion, cofondateur de Tikehau Capital, lors d’un colloque de l’IEIF (Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière) il y a quelques jours. « Un client danois féru d’immobilier a dit stop et doit revendre 3 milliards d’euros d’actifs pour repasser sous ses ratios prudentiels », expliquait un autre gérant.
« Vendeurs forcés ». Enfin, alors que beaucoup d’acteurs se financent en partie par de la dette pour avoir un effet de levier, cette dernière coûte plus cher. « Les grandes foncières et promoteurs payent 7 à 8% aujourd’hui pour se ré-endetter alors que c’était 3,5 à 4,5% il y a un an », expliquait Antoine Flammarion. « Il n’y a pas eu d’émission obligataire depuis fin août, le marché est devenu très coûteux, confirmait Emmanuelle Bons-Barreau, directrice marchés de capitaux pour l’immobilier chez BNP Paribas. Il y aura des vendeurs forcés, par exemple des fonds à maturité obligés de liquider leurs actifs. La question c’est quand et dans quelle magnitude ».
La conclusion est claire : il y aura forcément des baisses des prix des actifs immobiliers . Mais dans quelle ampleur ? Pour évaluer la valeur d’un immeuble, les experts comparent normalement avec une dizaine de transactions récentes d’actifs similaires. Or, il n’y en a plus. En fin d’année, tout le monde sera pourtant obligé de ré-estimer ce qu’il a en portefeuille. Arnaud Taverne « espère que cela débloquera un peu le marché. Là, on est au pire des moments, avec une grande volatilité des indicateurs macroéconomiques et une faible visibilité ».
« Nous essayons d’acheter moins cher, et des actifs très résilients face aux baisses de valeur, il faut être sélectif dans la localisation, la desserte, le caractère vertueux de l’immeuble, la solidité et la pérennité des locataires »
« Il y a de l’inertie, comme dans la crise immobilière des années quatre-vingt-dix, car il y a un déni généralisé de tous les gestionnaires : personne ne veut dire j’ai investi à 100 et c’est à 80 ou 90 dans mes comptes, pense Antoine Flammarion. Je ne vois pas comment il n’y aura pas un ajustement de la valeur des actifs ». Les investisseurs longs peuvent attendre et ils ont eu tendance à retirer leurs immeubles du marché s’ils n’arrivaient pas à atteindre leurs prix souhaités, et « pour ne pas abîmer leur produit d’un point de vue marketing », note Nicolas Verdillon, directeur investissements chez le courtier CBRE France. « Des courtiers immobiliers font savoir qu’il y a des situations plus ou moins urgentes de vente, explique Philippe Depoux, président de La Française REM. Mais souvent les premières ventes forcées se font off-market, un vendeur cherchera discrètement quelqu’un qui veut acheter son immeuble avec une décote qui satisfera tout le monde ».
Sélectivité. De l’autre côté, il y a des acheteurs plus pressés que d’autres : les collecteurs d’épargne, qui gèrent l es placements des fonds de SCPI et d’unités de compte immobilières des particuliers . Depuis deux ans, ils ont collecté des montants records qui, s’ils ne sont pas investis, fondront comme neige au soleil avec l’inflation, alors qu’ils doivent produire des dividendes chaque trimestre. « Nous essayons d’acheter moins cher, et des actifs très résilients face aux baisses de valeur, il faut être sélectif dans la localisation, la desserte, le caractère vertueux de l’immeuble, la solidité et la pérennité des locataires », explique Philippe Depoux. « Les SCPI […] ont acheté avec des corrections de prix, à des niveaux moins élevés qu’elles n’auraient payés il y a six mois, mais plus chers que ce qu’auraient mis d’autres acheteurs », relève Nicolas Verdillon de CBRE.
« Si vous avez acheté un immeuble il y a quinze ans à 50, il a pu valoir 150 ou 200 en début d’année. Toutefois, si vous le vendez aujourd’hui à 100, vous cristallisez quand même 50 de plus-value, encourage François Blin, directeur Investissement bureaux Ile-de-France chez le courtier JLL. Vous l’avez amorti et vous pouvez avoir besoin de faire tourner votre bilan ». Son équipe est « en train de travailler sur des transactions qui sortiront dans quelques mois ». Le secteur mise sur une reprise de l’activité, aux prix décotés, à la fin du premier trimestre 2023.
— À lire sur www.lopinion.fr/economie/immobilier-les-grands-investisseurs-nachetent-plus-et-attendent-la-baisse-des-prix
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